La danse macabre
de Cracovie

Morts et musiciens

 

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1996-2018 © Patrick Pollefeys

Au monastère des Pères Bernardins, à Cracovie (Kraków), se trouve le premier exemple jamais trouvé en Pologne de ronde macabre avec médaillons. Cette oeuvre attribuée à Franciszek Lekszycki daterait du dernier quart du 17e siècle. L'artiste se serait probablement inspiré des pamphlets allemands montrant une ronde macabre, comme celui publié par l'imprimerie de Paulus Fürst vers 1630. Ce motif présentait un avantage concret : il exigeait bien moins d'espace que la farandole, forme classique de la danse macabre qui, dans les fresques, s'étalait souvent sur plusieurs mètres. Outre l'oeuvre de Fürst, quatre pamphlets sont connus à ce jour.

Au centre du tableau se déroule une ronde macabre où dansent des squelettes et des femmes en alternance. Les neuf danseuses représentent les épouses des laïcs, de l'empereur jusqu'au fou, dépeints dans les médaillons. Aux quatre coins de l'image centrale figurent des scènes de la Bible : en haut, la crucifixion et les justes au paradis; en bas, le péché originel et les damnés en enfer. Au centre, dans le haut, une église; dans le bas, deux musiciens jouant du violon et du piano. Ils sont accompagnés par deux squelettes, dont l'un tient une partition musicale.

La partie centrale est encadrée par 14 médaillons. Chacun d'eux illustre la rencontre entre un homme ou un groupe d'hommes et la Mort personnifiée par un squelette. Un petit démon dansant ou jouant de la musique se tient souvent aux pieds du couple vivant-mort. Chaque vivant a perdu sa coiffe, qui gît au sol comme si la Mort l'avait envoyée valser. Un quatrain accompagne chaque médaillon. À noter que la danse macabre de Paulus Fürst, qui a précédé cette oeuvre, ne comporte que 12 médaillons. Elle ne montre pas de diablotins. Par ailleurs, la Mort s'y adresse aux vivants en deux vers au lieu de quatre. Le tableau ci-dessous compare les classes sociales de l'oeuvre de Paulus Fürst avec celles de la danse macabre de Cracovie. Certains personnages peuvent être visualisés avec une meilleure résolution.

Il existe d'autres rondes macabres polonaises inspirées des pamphlets allemands. Certaines sont artistiquement aussi accomplies que l'oeuvre de Franciszek Lekszycki, d'autres moins. Ses peintures se trouvent à Kalwaria Zebrzydowska, Czerniakow, Swieta Anna et Kalwaria Paclawska. Il existe également une ronde macabre en Biélorussie dans la ville de Hrodna (ville qui appartenait à la Pologne avant la Seconde Guerre mondiale).

Alors que certains artistes se sont inspirée de la peinture de Cracovie, d'autres en ont littéralement peints une copie. L'une d'elles est l'oeuvre de Seweryn Krauz. Elle date de la moitié du 19e siècle et est présentement exposée au musée national de Poznań. Une lithographie a été exécutée à Vienne en 1868 à la demande des Pères Bernardins afin de recuillir des fonds pour rénover leur église. Un exemplaire de cette lithographie se trouve de nos jours à l'église Saint-Adalbert à Modlnica. Une seconde lithographie a été produite à la fin du 19e siècle par les Pères Bernardins de la ville d'Alwernia, mais elle serait cependant de moindre qualité. Finalement, plusieurs artistes ont peint des aquarelles, à partir de la peinture de Cracovie. Les plus reconnues sont celles du polonais Jan Kanty Wojnarowski, qui a reproduit chacun des médaillons. Voici quelques exemple : un groupe de prêtres et de moines, le soldat et l'infirme ainsi que le Turc et le Juif.

Tableau comparatif entre la danse macabre de Paulus Fürst et celle de Cracovie

Paulus Fürst Cracovie
Pape Pape
Empereur Empereur
Roi Roi
Cardinal Cardinal
Évêque Évêque
------ Prêtres et moines
Duc Duc
Comte Sénateur
Noble Noble
Bourgeois Marchand
Paysan Paysan
Soldat et infirme Soldat et infirme
------ Turc et Juif
Enfant et fou Enfant et fou

Cracovie peut se vanter de posséder une deuxième danse macabre (taniec smierci), dans l'église des Capucins. Peinte en 1767 par Antoni Gruszecki, elle est composée de quatre tableaux qui décoraient jadis un autel.

- Premier tableau : Un enfant s'amuse à souffler des bulles de savon. À ses côtés sont éparpillés des objets appartenant à diverses classes sociales : une mitre, une tiare, une lance, etc. À sa droite, un squelette prend une pose triomphante, vêtu d'un linceul rouge et équipé d'une faux et d'un sablier.
- Second tableau : Un squelette qui emporte le pape et le cardinal. Plus loin, un autre entraîne l'empereur, qui résiste... Tous se dirigent vers un squelette qui porte un sablier, symbole du caractère éphémère de la vie.
- Troisième tableau : Un noble tente de corrompre la Mort en lui offrant un coffre d'argent. Un peu plus loin, une aristocrate attristée est emportée par un squelette, qui la saisit fermement par la main.
- Quatrième tableau : La Mort ouvre le cercueil où repose un cadavre. Un moine contemple la scène; un enfant tient un livre ouvert (la Bible?) et pointe le cercueil du doigt. Un squelette se penche et pose sa main sur le dos de l'enfant.


Références
Krol, Anna . 2000. Obrazy smierci w sztuce polskiej XIX i XX wieku.
Mrozowski, P. (ed.). 2000. Smierc w kulturze dawnej Polski : Od sredniowiecza do konca XVIII wieku.
Zamek Ksazat Pomorskich (ed.). 2002. Taniec smierci: Od Poznego sredniowiecza Do Konca XX Weiku
Koutny Aleksandra. 2005. Dancing with Death In Poland.Print Quarterly (vol.22 no.1. P.14-30)