La danse macabre
de Kernascléden

fresque Kernascléden

 

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1996-2018 © Patrick Pollefeys

Le village de Kernascléden (situé en Bretagne, dans le département du Morbihan) possède une charmante église gothique. Celle-ci est ornée de plusieurs fresques, qui portent notamment sur la vie de la Vierge et sur l'Enfer. Plus intéressant pour nous, elle possède aussi une danse macabre, peinte vers 1440-1460. De cette oeuvre, il ne reste malheureusement que quelques fragments; certains de piètre qualité, d'autres ayant conservé beaucoup d'éclat malgré le passage des siècles. En novembre 2003, j'ai eu la chance d'admirer de mes propres yeux cette fresque - ravissante bien qu'abîmée - qui a fait l'objet d'une restauration ces dernières années. Ces travaux ont permis de mettre au jour certains détails.

La fresque débute avec un prédicateur. Debout dans sa chaire, il tient dans ses mains un parchemin illisible. À ses pieds, un squelette joue de la trompette. Suit la danse, qui se composait fort probablement de 15 personnages et de 16 squelettes (plusieurs ont aujourd'hui disparu):

fresque Kernascléden partie 11- Avant la restauration de la fresque, le premier vivant prêtait à confusion. On ne voyait rien de sa tête. En revanche, on distinguait une croix latine à une seule branche. Bien que la croix papale en possède trois, on croit aujourd'hui que ce personnage représenterait le Saint Pontife. Ce ne serait pas la première danse macabre où le pape est présenté avec une croix de forme inhabituelle: sur les fresques de Paris et Bâle, il porte une croix à double traverse. À Berlin, il n'arbore pas de croix, mais une crosse pareille à celle de tous les autres ecclésiastiques. En tous cas, à Kernascléden, la restauration a révélé que sa coiffe est vraiment une tiare, ce qui règle la question de son identité.

fresque Kernascléden partie 22 et 3- La Mort semble offrir quelque chose de sa main droite au vivant situé à gauche. Effrayé par l'offrande, celui-ci a un mouvement de recul. Ce personnage est coiffé d'une couronne. Est-elle triple, comme celle que portaient les empereurs? Les siècles ont effacé ce détail. Si la couronne est simple, il s'agirait alors plutôt d'un roi. Ou d'un duc. À la création de l'oeuvre, soit à la moitié du 14e siècle, le duché de Bretagne n'était pas encore rattaché à la France; il est donc possible que l'artiste, par esprit patriotique, ait décidé de faire fi de la hiérarchie royale et de peindre son duc avant le roi. Fait étrange: en troisième position se trouve un autre laïque, alors que devrait suivre un ecclésiatique. Ce personnage, qui porte aussi une couronne, est possiblement un roi. Ou un duc!

fresque Kernascléden partie 34- Malgré que ce personnage, tout de rouge vêtu, manque à moitié, il ne fait aucun doute qu'il représente un cardinal. Le squelette à sa gauche le saisit par le bras, alors que celui à sa droite pose sa main sur son épaule.

fresque Kernascléden partie 45- L'absence de texte rend difficile l'identification de ce danseur. Comme il porte une genouillère sur sa jambe droite, il pourrait être le chevalier. Malheureusement, on n'aperçoit aucune autre pièce d'armure, aucune épée. S'agirait-il de l'écuyer?

fresque Kernascléden partie 56- Il est pratiquement impossible d'identifier avec exactitude le sixième vivant. On distingue une soutane; c'est donc un ecclésiastique. Archévêque, évêque ou abbé? Étant donné le nombre réduit de danseurs et la position du personnage dans la farandole, on peut avancer qu'il s'agit de l'évêque.

fresque Kernascléden partie 67- Seulement le haut du corps est visible. Cela suffit pour constater que ce vivant porte une fiole dans sa main gauche: c'est donc le médecin. Le squelette qui l'accompagne à gauche est drapé dans un linceul.

fresque Kernascléden partie 78 et 9 - Le huitième danseur (à gauche) est le bailli. On le reconnaît facilement à sa coiffe particulière, qui ressemble vaguement à un turban. Encore une fois, l'alternance ecclésiatique-laïque est brisée, puisque le bailli n'est pas membre du clergé. Quant au neuvième vivant, dont il reste seulement une jambe, impossible de deviner sa classe sociale.

fresque Kernascléden partie 810 et 11- l n'est pas possible de connaître précisément la classe sociale de ces vivants dont on ne voit que les jambes. Celui de gauche est probablement un laïque, car ses vêtements sont courts. Celui de droite, qui porte une soutane, appartient sans doute au clergé.

fresque Kernascléden partie 912- Incroyable, mais vrai! Même si on ne voit à cet endroit que la partie inférieure de la fresque, il est possible d'identifier ce vivant. C'est le paysan; on le devine grâce à ses chaussures et à la tête de sa houe.

13 à 15- Après le paysan, la danse macabre disparaît entièrement jusqu'à sa scène de conclusion, qui représente la Mort. Il est permis de croire qu'il se trouvait trois personnages dans cet espace vide. En moyenne, chaque couple mort-vivant occupe un espace d'environ 60 cm; l'espace dépourvu de fresques en mesure 185. En se basant sur d'autres danses macabres, on peut supposer que cette oeuvre comprenait aussi un ermite, un femme et une enfant.

fresque Kernascléden partie 1016- Cette danse macabre se conclut avec un squelette dont seul le haut du corps est visible. Il tient dans sa main gauche ce qui semble être un faisceau de javelots. Il n'est pas étrange de conclure une danse macabre avec un squelette armé; cependant, ce motif se retrouve surtout dans les oeuvres italiennes, comme celles de Carisolo ou Pinzolo.

En 1956, Élisabeth Faure a dessiné un relevé de cette danse macabre que vous pouvez visualiser en cliquant sur l'image ci-dessous.

Relevé Elisabeth Faure