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Sont regroupées ici diverses oeuvres, qui ne pouvaient être classées dans les autres catégories. Certaines ont la Mort comme thème principal; pour d'autres, ce n'est qu'un personnage accessoire. La mort de l'avare de Hieronymus Bosch est un bon exemple du dernier cas. Ce tableau est une allégorie morale, comme la plupart des autres oeuvres de Bosch. Le pardon de Dieu est donné à l'Homme s'il se repent de ses péchés; le tableau est centré sur la mort du vieil homme et sur ses devoirs spirituels, et non sur l'arrivée de la Mort.
Avec Les trois âges et la Mort, Hans Baldung, dit Grien, explore un des thèmes récurrents de l'art allemand. Il existe d'ailleurs au moins deux tableaux de Baldung qui traitent ce sujet, sans compter plusieurs autres qui sont dans la même veine (La jeune fille et la Mort, Le chemin vers la Mort et Les sept âges de la vie). Les autres oeuvres qui suivent sont des variations inhabituelles sur le thème de la Mort dans l'art.
La Mort noire
En France, on retrouve dans la petite ville de Lavaudieu une fresque aussi étrange qu'exceptionnelle. Un des murs de l'église St-André est ornée d'une oeuvre datant de 1355, intitulée La Mort noire. Dans cette fresque, la Mort est une personnification de la peste et - chose rare dans l'art macabre - elle est représentée sous les traits d'une femme. Autre caractère particulier, la Mort n'est pas un cadavre en décomposition, ni un squelette, mais un corps sain d'apparence. Elle est armée de plusieurs flèches qu'elle tient de ses deux mains, mais on ne remarque pas la présence d'un arc. Malgré cela, plusieurs personnes gisent à ses pieds, chacune atteinte d'une flèche. Cette arme est souvent associée avec la peste dans l'iconographie chrétienne. Remarquez que les flèches ont frappé les personnages à l'endroit où les bubons apposent leur marque (cou, aisselle, aine, etc). On représentait également ainsi le corps de Saint-Sébastien; ce dernier fut d'ailleurs consacré protecteur de la peste à l'époque médiévale. Il est difficile d'identifier avec précision les personnages de cette fresque. Toutefois, on peut penser que diverses classes sociales sont peintes: ecclésiastiques et laïques, riches et pauvres, hommes et femmes. Cette fresque de Lavaudieu est un exemple unique dans l'art macabre - ce qui n'empêche pas de faire certains rapprochements. La Mort noire ressemble à d'autres thèmes plus connus comme la danse macabre ou le triomphe de la Mort. Dans tous les cas, on retrouve dans une même oeuvre divers groupes sociaux et le même enseignement: la peste, et par conséquent la mort, peut atteindre tous les gens quelle que soit leur condition sociale.
La mort de l'avare
Ce tableau de Hieronymus Bosch date de 1490. On y voit d'abord un homme sur son lit de mort. L'ange à sa droite tente d'attirer son attention vers le crucifix, situé en travers de la fenêtre, illuminé d'une lumière divine. Mais l'homme est plus attiré par une bourse que lui tend un démon. Même à quelques instants de son trépas, il persiste à rester attaché à ses possessions matérielles... La Mort a déjà pénétré dans la pièce mais le mourant ne réalise pas encore qu'il en va de sa rédemtion ou de sa damnation. D'autres créatures, venues des Enfers pour tenter l'avare, se tiennent dans son coffre, entourent ses vêtements et ses armes, le conjurant de ne pas quitter ses possessions terrestres; car une âme qui est prête à les sacrifier est une âme sauvée. La Mort est représentée de façon traditionnelle et porte une flèche à la main, ce qui montre qu'elle s'apprête à prendre une vie. Le vieil homme au pied du lit est vraisemblablement un double du mourant, qui continue de remplir son coffre de biens précieux. Ce tableau est inspiré d'un livre de prière du 15e siècle intitulé: Ars Moriendi (L'art de mourir). Ce manuel était un guide pratique sur la façon de mourir. Il comprenait onze scènes: les cinq premières étaient les tentations du démon, invitant le mourant à l'impiété, au désespoir, à l'impatience, à la vanité et à l'avarice. Les cinq suivantes étaient les inspirations de l'ange: la foi, l'espoir, la patience l'humilité et la générosité. Dans la dernière scène l'ange reconduisait l'âme au ciel, alors qu'en Enfer les hurlements de rage des démons se faisaient entendre. Dans cette oeuvre de Bosch, par contre, l'issue du combat demeure incertaine.
La danse des squelettes
Cette gravure sur bois de Michael Wolgemut est tirée du livre Liber Chronicum (Chronique du monde) de Hartmann Schedel, paru en 1493. Ce livre est communément appellé Chronique de Nuremberg. On doit distinguer cette "danse des morts", ou "danse des squelettes", de la "danse macabre" proprement dite: la première se base sur une superstition folklorique et ne représente que des morts entre eux; la seconde est une leçon sociale et spirituelle et représente toujours la Mort couplée à un vivant. Sur cette planche de Wolgemut, des cadavres dont les viscères sortent de leurs cavités et des squelettes dansent, singeant ainsi une des plus intensives activités humaines - une burlesque imitation de la vie. Dans cette scène transparaît une superstition médiévale selon laquelle pendant certaines nuits, les morts sortaient de leurs tombes pour danser dans les cimetières avant de partir à la recherche de victimes. Les morts ne sautillent pas avec des vivants, mais encouragent un corps qui commence à s'agiter dans une tombe ouverte. Que les morts s'amusent entre eux, sans l'aide des vivants, apporte une nouvelle définition du macabre. Cette gravure est une représentation inhabituelle de la leçon chrétienne du réveil des morts au jugement dernier, qui signale la fin des temps et du monde.
La "danse macabre" de Bar-sur-Loup
Cette huile sur bois située dans l'église Saint-Jacques le Majeur, à Bar-sur-Loup, n'est pas une danse macabre même si son titre suggère le contraire. Dans les danses macabres, un cadavre accompagne chacun des personnages, qui sont ordonnés selon leur rang social. Dans cette oeuvre, on voit bien que la Mort ne danse pas; elle décoche plutôt des flèches aux vivants. Si cette peinture a été identifiée comme danse macabre, c'est probablement à cause des historiens qui l'ont décrite au 18e siècle. Quelques-uns des vers qui accompagnent l'oeuvre portent en effet à confusion:
...
La fin et votre mort de mâle savourance
Si elle vous frappait en subite incidence
Vous tomberiez de tout en grande désespérance
Et vous danseriez en la terrible danse
...
Peu importe la dénomination, l'oeuvre possède un intérêt certain pour l'amateur d'art macabre.
La scène macabre de cette peinture occupe le tiers supérieur du tableau. Le reste est occupé par un texte en langue provençale de 33 vers disposés en deux colonnes (pour le lire, cliquez ici. L'artiste anonyme a représenté des jeunes gens qui dansent au son du galoubet (petite flûte à bec provençale) et du tambour. Sur la tête du musicien et des danseurs se tiennent des diablotins noirs. Ceux-ci souillent les âmes des vivants en les entraînant dans l'insouciance et les plaisirs mondains. À la droite du tableau, saint Michel met dans le plateau d'une balance l'âme d'un danseur - symbolisée par un corps nu - et dans l'autre, le livre des bonnes actions. C'est le pèsement des âmes, où l'on compare les vertus et les vices des vivants. Manifestement, les danseurs sont corrompus, car un démon les agrippe. Les vivants font face à l'inéluctable: la Mort. Cette dernière vient d'abattre deux vivants à l'arc. Une femme mortellement blessée se prépare à succomber. Un homme gît déjà sur le sol; un démon saisit son âme et l'entraîne dans la gueule béante des Enfers. À la gauche, deux récitants (les donateurs du tableau?) expliquent à la foule qui se tient derrière eux les méfaits des plaisirs mondains.
La légende des morts reconnaissants et secourables
La fresque ci-contre est située à Baar, en Suisse. Elle est peinte sur l'un des murs de l'ossuaire. La version originale date de la première moitié du 16e siècle. En 1740, elle a été rénovée et fortement modifiée. La légende des morts reconnaissants et secourables de Baar demeure l'un des exemples les plus représentatifs de ce thème rare. Dans celui-ci, un homme est poursuivi par des brigands. Il se réfugie dans un cimetière, s'agenouille et prie pour de l'aide. Les morts, reconnaissants des prières que le pieux homme a faites pour le repos de leur âme, se lèvent et sortent de leur tombe, armés de faux et de bâtons, pour le défendre. On retrouve ce genre peu connu surtout en Suisse, mais il existe quelques fresques sur ce thème en Allemagne. Cependant, il semble qu'il s'agisse d'un thème présent uniquement dans la culture germanique. La légende des morts reconnaissants et secourables offre une didactique très différente des autres thèmes macabres comme la légende des trois vifs et des trois morts, la danse macabre ou encore le triomphe de la Mort. Dans ces dernières, la leçon à retenir était que tous les hommes doivent mourir; ici, on tient à rappeler l'importance de prier pour honorer l'âme des morts. Les corps décharnés ne sont donc pas une menace pour tous, ils deviennent un secours surnaturel pour celui qui les a invoqués.
Les trois âges et la Mort
Avec Les trois âges et la Mort, Hans Baldung Grien peignit une allégorie de la vie truffée de symboles. Allégorie de vie, malgré le paysage aride et desséché, malgré les trois femmes moroses de la naissance à la vieillesse, qui ne manifestent aucune trace de joie. La Mort tient d'une main un sablier, symbole traditionnel du passage du temps. Son bras enlace le bras de la vieille femme; elle l'entraîne vers l'autre monde. Néanmoins l'existence continue: la jeune fille est en âge de procréer et la lance que la Mort tient est un symbole de défloration clair. Elle engendrera un enfant, qui lui aussi grandira et se retrouvera au bras de la Mort. Toute chose subit les affres du temps, mais la nature renaît, recréant ainsi la beauté et la jeunesse et perpétuant le cycle de la vie.
La Mort faucheuse aux yeux bandés
Exécutée par un artiste inconnu au 17e siècle. Comme la Mort à cheval ou avec un instrument de musique ou la Mort avec arc et flèche, on a souvent représenté la Mort avec une faux; ce dessin réunit les deux dernières caractéristiques, chose assez rare. Ses yeux bandés sont un clair symbole: elle fauche tout sans discernement. Il est difficile d'attribuer un sexe à cette silhouette androgyne - est-ce un homme délicat ou une femme athlétique? Autre trait étrange: on a rarement représenté la Mort comme un être humain qui apparemment ne montre aucun signe de décomposition. Les squelettes, cadavres putrescents, momies et autres beautés du genre étaient préférés, étant sans doute plus apte à transmettre la peur et l'horreur.
La Mort comme amie
Cette oeuvre d'Alfred Rethel fut gravée en 1851. C'est l'une des très rares représentations positives de la Mort comme ami. C'est l'image paisible d'un sonneur de cloche, endormi sur son fauteuil au coucher du soleil. La Mort est venue sonner les vêpres à sa place, sonnant son trépas par la même occasion.
L'enfant
Cette oeuvre de Max Klinger exécutée en 1889 fait partie d'un cycle ayant pour nom De la Mort. La quatrième feuille s'intitule L'enfant; une mère s'est endormie sur un banc, près d'un chemin. À ses côtés un landau vide; au bout du sentier, la Mort emmène l'enfant qui est fatalement tombé de son landau.
Le meilleur médecin
Alfred Kubin, surnommé le "prêtre des Enfers", le "Goya autrichien", avait une psyché tendue et conflictuelle. Il a beaucoup souffert en créant, et sa distanciation d'avec la Mort prend une place importante dans ses tableaux. Un de ses premiers dessins représente la Mort, "le meilleur médecin", auprès du lit d'un mourant. La silhouette féminine, de la Mort vêtue de noir avec une médaille au cou, est inquiétante, tout comme celle trop longue de l'agonisant, vêtu de blanc. Il s'agit ici d'une rare personnification de la Mort en tant que femme.
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