Les simulacres de la Mort |
|
||||
Copyright (textes) |
En 1524, Hans Holbein le Jeune crée une danse macabre. Cependant, c'est seulement en 1538 que Les Simulachres et Histoires facées de la Mort est publié. Parallèlement, à cette danse macabre, il exécute un alphabet de la Mort. Il s'agit de lettres ornées où s'enlacent des cadavres et des vivants, qui servent à généralement à décorer le début de certains chapitres. Par son oeuvre, Hans Holbein le Jeune redéfinit le thème de la danse macabre. La Mort, toujours agressive et jubilatoire, ne danse plus dans une longue farandole, mais intervient directement dans des scènes de la vie quotidienne. Si la danse macabre de Paris domine le Moyen-Âge tardif, l'oeuvre de Holbein devient la référence à partir de 1538. Celle-ci est une suite de 41 gravures sur bois, qui furent exécutées vers 1526 et publiées 12 ans plus tard à Bâle, dans un recueil intitulé: Les simulacres et historiées faces de la mort. Holbein ne fut pas le premier à modifier la danse macabre quant à son médium (gravure sur bois se substituant à la fresque traditionnelle). Mais il lui revient d'avoir transformé le but didactique. Désormais, on recevra les leçons de la danse macabre surtout seul à seul, avec un livre, et plus rarement en communauté, en regardant de grandes fresques. La composition même de la danse macabre change: la Mort ne mène plus une farandole, mais intervient dans des scènes choisies de la vie quotidienne. Holbein a vécu au temps de la Réformation et des révoltes paysannes. Ses convictions humanistes transparaissent dans son oeuvre. Il fait de la Mort un justicier dénonçant l'abus de pouvoir et l'avarice. Les quatre premières gravures sont des scènes de la Genèse, suivies par un groupe de squelettes jouant de la musique. La danse proprement dite débute avec le pape et se poursuit avec 34 autres victimes. Elle se conclut avec une gravure représentant le Jugement Dernier et une autre, les armoiries de la Mort. La Mort entre en scène lorsqu'Adam et Ève sont chassés du Paradis; à l'extérieur, la Mort se tient, triomphante. Dorénavant, l'Homme devra mourir. Un symbole que Holbein utilise fréquemment dans sa danse macabre est le sablier. Celui-ci apparaît pour la première fois aussi dans une scène de la Genèse: Adam travaillant le sol, où pendant que Ève nourrit Caïn, Adam, aidé par la Mort, défriche un champ. Par la suite, 25 des 34 victimes seront représentées avec un sablier (symbole du passage du temps). Les sentiments anticléricaux de Holbein transparaissent dans plusieurs scènes, comme celle avec le pape. Celui-ci n'a pas conscience que la Mort vient le chercher à l'un des moments les plus prestigieux de sa carrière: le couronnement d'un empereur. Deux démons symbolisant la tentation de la vanité sont aussi présents. Avec le cardinal, la Mort surgit pendant la vente d'une indulgence. L'évêque paraît confus alors que la Mort, le prenant par la main, le guide à travers un troupeau de mouton. La mort empoigne le moine alors qu'il tente de fuir avec ses possessions. Le moine a pourtant prêté voeu de pauvreté. Mais la gravure avec la nonne demeure l'une des plus ironiques. Celle-ci dans une chambre richement décorée fixe d'un regard concupiscent son amant au même moment qu'elle prie. La Mort intervient en éteignant une bougie située sur l'autel. Un signe évident du destin de la nonne. De telles représentations provoquèrent les rires du peuple, mais aussi la haine et la colère du clergé. Pourtant, le prédicateur et le prêtre ne s'attirent pas les sarcasmes de Holbein. La classe inférieure du clergé dans les villes et les campagnes sympathisait avec les pauvres. Elle était elle-même souvent exclue de l'opulence et du faste de l'élite cléricale. La sympathie de Holbein envers les démunis se manifeste souvent alors que ceux-ci font face à l'indifférence des riches. Le duc repousse une femme et son enfant. L'avocat reçoit ses honoraires d'un riche client; les deux ne se soucient guère du pauvre à leurs côtés. On remarquera un démon symbolisant la tentation de l'avarice, perché sur les épaules du sénateur; car celui-ci ignore le mendiant derrière lui. Holbein fait preuve d'un subtil sens de l'humour lorsqu'il représente la Mort qui s'empare d'abord de l'or de l'homme riche, avant de lui voler son âme. La justice et les sciences subissent aussi la critique de Holbein. Pendant que la Mort enlève la couronne de l'empereur, un paysan supplie celui-ci de lui accorder justice. L'épée brisée que porte l'empereur démontre bien qu'il n'a pas le véritable pouvoir de prendre une juste décision. Dans une autre scène, la Mort s'apprête à enlever le symbole d'office du juge. Elle passe inaperçue pendant que le juge se laisse corrompre par le riche. L'argent a plus de poids que la cause dans la balance de la justice... Et le moins fortuné en fera les frais. La Mort s'interpose entre le médecin et son patient. Holbein semble dire que quelque soit sa science, le médecine ne peut empêcher l'inévitable: tôt ou tard, lui et ses patients devront mourir. Le chevalier, le noble et le comte, sortis vainqueurs de grandes batailles (généralement contre de simples paysans...), font face a une adversaire beaucoup plus coriace, voire invincible: la Mort. Le noble tente vaillamment de combattre, mais le cercueil se trouvant à ses pieds est un signe évident de l'issue du duel. Le chevalier est facilement pourfendu par sa propre lance, maniée par la Mort. Et le comte se sauve alors que la Mort, déguisée en paysan, lui arrache son blason. Toutefois la Mort n'est pas toujours représentée comme justicier. Elle se montre cruelle en enlevant l'enfant à sa famille. Étrangement, elle tient parfois le rôle d'un ami ou d'un serviteur: comme avec Adam, la Mort aide l'agriculteur dans ses travaux aux champs. Elle sert le roi en lui versant l'eau pour se laver les mains avant le repas. Elle accompagne solennellement le vieil homme et la vieille dame vers leur dernier repos. Finalement, avec l'avant-dernière scène: le jugement dernier, Holbein rappelle que la rédemption et la résurrection sont possibles avec l'aide du Christ. Grâce à lui, l'Homme peut triompher de la mort. Voici la liste des 41 gravures (les citations bibliques en latin qui accompagnaient les gravures ne sont pas disponibles):
Au fil des ans ont paru plusieurs autres éditions des gravures originales. Voici les plus importantes :
1542: Seconde édition française. Pour la première fois, l'œuvre est traduite en latin (Imagines de Morte et Epigrammata e Gallico idiomate a Georgio Aemylio in Latinum translata).
1547: Édition en français (Les Images de la Mort. Auxquelles sont adjoustées douze figures). Elle comprend 53 gravures : les 41 d'origine, les huit nouveaux danseurs et les quatre tableaux avec des putti.
Les simulacres de la Mort de Hans Holbein sont demeurés très populaires à travers les siècles. Plusieurs artistes ont réinterprété ses gravures. Le site de Martin Hagstrøm présente un inventaire exhaustif de ces différentes œuvres (pour les admirer, cliquez sur les liens ci-dessous). Parmi toutes ces variations, l'une des plus intéressantes est celle signée par Heinrich Vogtherr en 1544. Il ajoute un nouveau figurant : le couple adultère. Dans la version originale, la scène est d'une rare violence : le couple se trouve en plein ébat sexuel quand la Mort tire la femme par les cheveux pendant que le mari transperce de son épée les deux amants. En 1548, lors d'une nouvelle édition, l'artiste publie une scène considérablement adoucie : Les amoureux indifèles sont assis côte à côte tandis qu'à leurs côtés se tient la Mort avec un sablier et un miroir.
Heinrich Aldegrever (1541)
Références
|